La diversité ethnique dans la littérature jeunesse
Les enjeux liés à la représentation de la diversité ethnique dans la littérature jeunesse sont complexes et souvent mal compris. Cela est dû, notamment, à la multiplicité des voix et la fragmentation des messages. Les enfants racisés – en d’autres termes, catégorisés selon certains types ethniques – ne sont pas définissables aisément. Leur apparence, leur histoire ou leur langue sont autant d’aspects irréductibles de leur identité.
La comparaison avec les enjeux liés à l’égalité de genre permettra d’apprécier l’ampleur du problème. Ainsi, considérons les œuvres de littérature jeunesse les plus vendues : Le petit prince (Saint-Exupéry, 1943), Harry Potter (Rowling, 1997), Alice aux pays des merveilles (Caroll, 1865). Le genre de leurs héros et héroïnes ? Un garçon. Un garçon, une fille, un garçon. Une fille. Et leur origine ethnique ? Européenne (ou assimilée). Européenne, européenne, européenne. Européenne.
Peu d’études et de statistiques sont disponibles. Peu de médias sont intéressés. Mais les lecteurs, inclus parents, professeurs, sont de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux à critiquer cet état de fait. Sous-représentés, voire invisibilisés au profit d’animaux anthropomorphes, les personnages racisés sont souvent traités à travers le prisme de l’exotisme ou de la lutte sociale : les héros asiatiques sont en quête de sagesse, les héros africains font face aux brimades de leurs camarades de classe. Ces représentations qui se veulent valorisantes perpétuent une imagerie passéiste, simpliste et naïve. Héritage d’une hégémonie culturelle occidentale qui n’est plus en phase avec la réalité cosmopolite d’aujourd’hui.
Les enfants qui se voient représentés avec les attributs sociologiques qui les caractérisent ont le sentiment d’exister, d’appartenir à leur groupe. Comment grandiront ceux qui ne se reconnaîtront pas dans leurs propres héros ? En amont de la chaîne du livre, les acteurs – ceux qui font les histoires et ceux qui les diffusent – sont majoritairement d’origine ethnique européenne et, de ce fait, étrangers à la subjectivité de ceux qui, pour eux, sont la minorité. Une étude menée aux Etats-Unis indique que plus de 70 % des livres ont été écrits ou illustrés par des personnes « blanches » (CCBC, 2020). Cette statistique reflète la composition ethnique de la population américaine mais son impact dépasse largement les frontières du pays. Les produits d’exportation culturels, vers l’Europe et ailleurs, à l’effigie de princesses et de super-héros représentent, pour la plupart, des personnages « blancs ».
Heureusement, les initiatives en faveur de la promotion de la diversité dans la littérature jeunesse se multiplient. Celles d’associations, comme Diveka dont c’est précisément l’objet « mais pas que », de maisons d’édition engagées comme La ville brûle et Milan jeunesse, de blogs comme Mon fils en rose et Fille d’album et d’auteurs comme Laura Nsafou qui aborde explicitement les inégalités et l’intolérance dans ses ouvrages ou Ilya Green qui varie les représentations sans faire des causes qu’elle défend leur sujet central.
Quoique ces livres qui mettent à mal nos stéréotypes soient noyés dans la masse de l’offre mainstream, ils existent ! Les approches diffèrent mais les idéaux convergent : au-delà de la diversité ethnique, c’est la richesse des individualités qu’ils rendent un peu plus visible. Chaque enfant est unique, non seulement par sa couleur de peau et son genre, mais aussi par son modèle familial, sa validité physique ou son orientation sentimentale. La littérature jeunesse, à la fois mise en scène et mise en abyme de toutes les enfances, offre un espace où peut se déployer l’imagination des jeunes lecteurs et lectrices. Elle favorise ainsi leur capacité d’empathie et d’identification à des personnes qui leur ressemblent et, mieux encore, à toutes celles qui ne leur ressemblent pas.
Clémentine & Antoine de Littérative